The Immigrant, de James Gray – Compétition Officielle

Les larmes aux yeux

Quand je suis sorti de la salle de projo, j’avais envie de pleurer. Le film m’a-t-il ému ? Non, malheureusement c’est plutôt le contraire : sur cinq long-métrages que contient la filmographie de James Gray, c’est bien la première fois que je reste insensible à l’un d’eux et ça fait mal au cœur, surtout quand le film semble calibré pour nous émouvoir.

Mélodrame : tragédie du pauvre ?

1921. New-York. Deux sœurs, Ewa et Magda ont fui leur Pologne natale et débarquent ensemble à Ellis Island, passage obligé des immigrants venus tenter le rêve américain… dès le début du film, ça coince : Magda, atteinte de tuberculose, est séparée d’Ewa pour être placée en quarantaine où on tentera de la soigner. Vient ensuite le tour de la belle Ewa (Marion Cotillard), que l’on accuse d’avoir eu des « mœurs légères » lors de la traversée ; tonton et tata ayant eu écho de l’affaire, ils refusent désormais de l’accueillir. Ewa sera donc « deported » (expulsée). Tout va mal donc ! ‘Heureusement’ elle est sauvée in extremis par Bruno, étrange et magnifique Joaquin Phoenix, qui sous ses airs de bienfaiteur s’avère être le proxénète d’un cabaret de Manhattan. Il propose à Ewa de l’héberger et de ‘l’aider’ à obtenir l’argent nécessaire à soigner sa sœur en la forçant à se prostituer. On comprendra que le film est bien un vrai mélo, quand, parvenant à s’extraire de l’emprise de Bruno, son propre oncle la dénonce aux flics : retour case départ.

Un plaidoyer en faveur de l’immigration un peu mou

Si les thèmes qui passionnent et obsèdent James Gray depuis toujours sont présents dans The Immigrant et qu’on peut s’en réjouir : tentative d’émancipation, famille, souffrance, perte d’innocence, rédemption ; quelque-chose manque tout de même à l’appel. Ce qui séduisait dans les précédents films, de Little Odessa (1994) à Two lovers (2008), en passant par The yards (2000) et le sublime La nuit nous appartient (2007), c’était l’écriture scénaristique qui, tout en gardant une grande efficacité, n’était que le haut de l’iceberg. En dessous, débordant de véracité , flottaient les plus beaux questionnements sur la cellule familiale, le poids des communautés et la force du lien du sang. Thriller et/ou policier, les précédents films savaient nous plonger la tête dans la tragédie grecque et on en redemandait. Le point de vue sur l’humain était bouleversant et J.Gray, tant par le scénario que par son admirable mise en scène, savait nous garder constamment sous tension.

Dans The Immigrant, c’est différent, le réalisateur troque le drame noir pour le mélodrame, et nous semble plus vraiment s’intéresser au maintien de la tension dans son scénario. Les scènes tragiques le sont intellectuellement parlant; rien dans la mise en scène ne transcende une simple séquence en un moment de grâce ou d’horreur. Comme le personnage principal, on flotte un peu, en avançant sans stress d’une scène à une autre, attendant de découvrir qui sera quoi ?  Malgré le trio d’acteurs parfaits de bout en bout, on s’ennuie donc poliment.

Classicisme formel pas si bien huilé

Bien qu’il évite le piège de la reconstitution lisse, le film est un peu trop théâtral et clos sur lui-même. James Gray contraint le spectateur à d’uniques décors sombres, si possible étroits, mais d’une saleté un peu trop propre et léchée. On saisit bien l’idée de nous emmener dans l’univers fermé de Ewa et Magda, mais on ne la ressent pas. Comme une boîte trop hermétique, le film retient nos émotions et les images en sépia du grand Dario Khondji (à qui on devait déjà ce même jaune dans Minuit à Paris de Woody Allen) nous rappellent de vieilles cartes postales jaunies, et là aussi c’est peut-être trop esthétisant pour transmettre le propos ? En ce qui concerne le reste de la mise en scène – à part deux séquences que je me garde pour la fin – rien à signaler ; Gray en réalisateur de talent fait bien le boulot, mais sans plus d’ardeur ni de génie. Sombre certes mais pas assez noir, le film peine à nous évoquer sincèrement le tragique : le cabaret, par sa lumière, ses costumes et les belles tentures est trop beau, et les quelques clients d’Ewa presque sympathiques. Gray dit que son «personnage principal doit en même temps contrôler son destin et en être la victime». On a le sentiment qu’Ewa ne rentre dans aucune de ces deux catégories… et nos yeux restent désespérément secs.

Famille mais sans plus

Le personnage d’Orlando, cousin de Bruno (Jeremy Renner) manque de consistance et la famille reconstituée qu’est la troupe du cabaret peine à exister à l’image ; en concentrant son film sur la figure sacrificielle d’Ewa qui refuse d’abandonner sa sœur et vend son corps pour payer son traitement ; Gray oublie de nous tenir en haleine. Il ne nous laisse pas le temps de connaître l’intensité de la relation qui unit ces deux sœurs puisqu’elles sont séparées dès le début du film et que Magda ne réapparaîtra qu’à la toute fin. James Gray peine à nous faire ressentir de l’empathie pour ce qui leur arrive, leur douleur, leurs traumatismes, et on risque de sortir du film sans avoir été vraiment touché, ni séduit.

Post-scriptum de sauvetage

On retiendra tout de même la belle complexité du personnage joué par Joaquin Phoenix, maître du corps d’Ewa mais esclave de son amour, envieux de sa croyance et de sa bonté. Ainsi que deux scènes magnifiques. Dans l’une, (spoiler !) un meurtre est réalisé de main de maître par J.Gray, qui fait tuer un magicien comme pour un tour de passe-passe, sans qu’on ait rien vu venir. Et la dernière scène du film, sublime chassé-croisé de destin où, le temps d’un faux split-screen, le mal qui s’est racheté (rédemption) ère dans l’obscurité tandis qu’au loin, le bien qui a su pardonné, s’éloigne vers la lumière. Amen ! Gray est sauvé.

The Immigrant, de James Gray, avec Marion Cotillard, Jeremy Renner, Joaquin Phoenix, Etats-Unis, 2h.

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