L’Ecume des jours, le faux pas du magicien Gondry

A propos de The We and The I, on revenait ici sur la déconcertante facilité qu’avait Michel Gondry à s’adapter aux différentes méthodes de production, sachant alterner projets indépendants quasi expérimentaux, documentaires et blockbusters. A chaque fois, il parvient à imprimer sa marque, tout en se renouvelant. Sans remettre en cause cette réalité, force est de constater, à la vue de son dernier film, que cela s’arrête aux frontières françaises. Pour son premier projet de fiction totalement financé en France, Gondry commet ici, après Human Nature, son second faux pas. Que s’est-il passé ? Il faut sans doute revenir aux origines du projet, à la volonté du scénariste-producteur Luc Bossi de trouver la formule magique pour l’adaptation du roman de Boris Vian, pourtant réputé inadaptable. Si Bossi a sans doute trouvé, avec Gondry, le seul cinéaste à même de réaliser l’impossible, il a par contre eu beaucoup plus de mal à convaincre les financiers.

Roman phare du « swinging Saint-Germain-des-Près », L’Ecume des jours est un modèle de grand n’importe quoi et de folie créatrice. L’impossible adaptation des œuvres de Vian peut se résumer à la réaction de l’écrivain face au film J’irai cracher sur vos tombes. Après s’être battu contre les producteurs pour éviter une catastrophe artistique, il meurt après avoir assisté au résultat. On ne saura jamais si le film en fut directement responsable mais, depuis, l’œuvre de l’écrivain semble maudire ses adaptations. Aujourd’hui encore, le sort s’acharne sur Boris Vian, avec une variante cependant : le producteur n’y est pour rien, et le cinéaste, aussi victime que l’écrivain. Car les problèmes se révélant  à la vue de L’Écume des jours tiennent au final d’un système de plus en plus contesté : le pouvoir des chaînes de télévision dans les décisions artistiques. On le sait, Bossi et Gondry n’ont pas vraiment eu leur mot à dire sur l’ensemble du casting. Si, à tout prendre, ils pensaient à Djamel Debbouze pour servir le rôle de Nicolas, c’est au final le fatiguant Omar Sy qui leur a été imposé. Reproduisant à l’infini ses mimiques comiques, déjà usées sur Canal+, et reprises pour le téléfilm Intouchables, il joue donc le serviteur du gadjo bobo Romain Duris. Avec ces deux seuls acteurs, connus pour être bankables, il était encore possible d’y croire. Après tout, un deal similaire avait été conclu pour Le Frelon Vert. Pour France 2, semble-t-il, cela ne suffisait pas. La peur, sans doute, que ce roman bizarre, adapté par un cinéaste à l’univers dit « loufoque » fasse fuir « le spectateur », cet être vivant que les financiers connaissent peu, voire pas du tout. C’est donc une ribambelle de stars, squattant déjà péniblement la plupart des productions de cinéma populaire, qu’on retrouve à l’affiche de L’Ecume des jours : l’Amélie minaudante Audrey Tautou, l’agaçante Charlotte Le Bon (miss-météo-de-Canal+) et le spécialiste de l’incruste Gad Elmaleh – Philippe Torreton et Aïssa Maïga étant, au final, ceux qui s’en tirent le mieux. On se demande à vrai dire où sont Dany Boon et Kad Merad. A trop vouloir s’assurer des entrées grâce aux stars, France 2 fragilise l’équilibre du film.

Car c’est bien l’incessant combat d’égos qui, dès les premiers séquences, crée le malaise. Gondry, dont les films sont tout à la fois merveilleux et angoissants, aurait pu se servir de ce handicap pour nourrir son œuvre, mais il n’en est rien. Il semble plutôt qu’à chaque plan, il cherche à convaincre les cadres financiers qu’ils ont bien fait de lui accorder leur confiance. Il s’agit bien, tâche-t-il de montrer, d’un film de Michel Gondry, marketé pour satisfaire ses fans. Doué pour saisir la musicalité des images, Gondry était l’homme idéal pour reproduire à l’écran la partition de mots interprétée par Boris Vian. Au lieu de cela, chaque scène est le motif d’un nouveau tour de passe-passe du magicien. Loin d’aller dans le sens de l’œuvre de Boris Vian, c’est alors à un pénible exercice d’autocitation que l’on assiste. L’Écume des jours sert de prétexte à allonger sur la durée le chef-d’œuvre vidéomusical offert à Björk, Bachelorette. Tout comme dans celui-ci, plus le temps passe, plus l’espace rétrécit, et plus l’angoisse ronge les personnages. Plus réussi dans sa dernière partie, le film semble comprendre qu’un problème interne le pousse à la ruine. Alors que les personnages sont condamnés, que la maladie avance et que la destruction règne, le cinéaste fait une apparition en tant qu’acteur, affublé des habits du médecin. En homme de science, il tente alors de sauver ce qui peut l’être, sans y parvenir. Une forme d’aveu, sans doute, puisque le cinéaste lui-même n’arrive pas à sauver les meubles de son film.

L’Ecume des jours, Michel Gondry, avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh, France, 2h05.

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17 thoughts on “L’Ecume des jours, le faux pas du magicien Gondry

  1. Comme j’avais détesté The We and the I, que Gael a gratifié de 5 étoiles; je me suis dit que L’écume des Jours avait toutes les chances de me plaire…
    Et bien non, Gael avait raison, la brume de l’ennui et l’océan répétitif de la parodie de Top Chef et d’une mauvaise imitation de la chorégraphie de Gnam Gnam, auront eu raison de ma résistance. Le fabricant de rêve s’est transformé en marchand de sable, et j’ai dormi par intermittence, entre deux stations où nous menaient ce train des choses, qui tournait en rond dans un manège au final bien grinçant et profondément lassant….

  2. Bonjour ! Pardon, pourriez-vous me dire comment vous êtes sûr que Michel a dü obéir au « pouvoir des chaînes de télévision dans les décisions artistiques » ? Comment prouver qu’il est une victime ?

    1. A aucun moment je l’affirme, mais vu la pression de la chaine pour imposer le casting, il me semble que cette pression a du jouer dans cette façon, qu’a Michel Gondry, à chaque plan de faire « du Gondry » jusqu’a l’ecoeurement. Michel Gondry étant un des plus grand cinéaste français actuel, il me semble qu’il a été victime de la pression de France 2, oui.

        1. Une source bien informée. Mais rien d’étonnant, ce n’est pas spécifique à ce film. C’est de notoriété publique que les chaînes de télévision imposent pour ce genre de gros budget les têtes d’affiches. C’est un choix économique et politique que l’on peut comprendre: ce genre de film est un risque financier et il est important de jouer sur la starification. Il n’est pas étonnant que l’on retrouve de plus en plus de vedette de la télévision, lorsque la télévision à un tel poids dans le cinéma français. Le problème ici c’est qu’ils sont tous des têtes d’affiches et que l’utilisation de ces vedettes déséquilibre le film. Tout dépend maintenant du rapport du public avec ces acteurs, si ils ne sont pas fatigué de voir toujours les mêmes. Moi personnellement cela me fatigue, surtout lorsque ces vedettes reproduisent un même système de jeu. Voila pourquoi au final, j’ai plutôt apprécié Philippe Torreton, dont le jeu est incroyable sobre. Étonnant venant de lui.

  3. Il serait intéressant de comparer cette nouvelle adaptation avec la première adaptation cinématographique de L’Écume des Jours, celle de Charles Belmont en 1968, avec les très jeunes acteurs Marie-France Pisier, Jacques Perrin et Sami Frey.
    Prévert en disait : « Belmont a gardé le coeur du roman, ce film est merveilleusement fait »
    Renoir : « Ce film a la grâce »
    En décembre 2011 Télérama écrit : « Une comédie solaire délicieusement surréaliste. Adapter Vian ? un tabou dont Charles Belmont est joliment venu à bout ».
    Et en juin 2012 Michèle Vian : « C’est très joli. Charles Belmont avait compris quelque chose. Et la distribution est éclatante ».
    On peut voir photos, extraits et avis critiques sur le blog :
    L’oeuvre du cinéaste Charles Belmont
    charlesbelmont.blogspot.fr

  4. les critiques qui se prennent pour des ayatollah en ligne directe avec le jugement divin, ça m’a toujours fait rigoler. Internet a mis à mal tout ces obséquieux faiseur de réputation, puisqu’on a pu y redécouvrir des films oubliés qui finalement, n’étaient pas les nullités qu’on pouvait lire dans les journaux.Ca m’a donné envie de voir le film plus qu’autre chose.

    1. Lorsqu’on revient sur l’histoire de la critique, on s’apperçoit qu’elle se trompe souvent. J’espère bien que si ma vision du film m’est personnelle, elle pousse a aller voir les films et ce film en particulier. Si le critique a encore un peu de pouvoir c’est bien de pousser ces lecteurs à voir les films, combien même il n’est pas persuadé de la qualité de l’oeuvre. Le cinéma est plus important que nous. Bon film alors!

    2. La critique, la vraie – celle que pratique Gaël, j’en suis convaincu – n’a pas pour objet de dire aux gens s’il faut « y aller » ou pas, si l’eau est chaude ou froide, s’il faut prévoir une petite laine ou prendre de la crème solaire. Elle tâche simplement de comprendre ce qu’est le film, ce qu’il dit, ce en quoi il échoue, ce en quoi il réussit. C’est son droit : elle entend formuler une opinion (lui préférant le ricanement dont vous faites preuve), estimant qu’un film est sujet à discussion. Nous ne sommes pas des ayatollahs, nous n’imposons nos vues à personne, et par les temps qui courent, nous faisons moins de « réputations » que la machinerie promotionnelle, dont vous ne semblez pas vous offusquer et qui, elle, entend bel et bien imposer ses vues. Allez donc voir le film : si vous n’êtes pas d’accord avec nous, venez nous dire pourquoi, et argumentez, dans une logique de dialogue, plutôt que de véhiculer des clichés sur la critique. Ce faisant, vous rendrez service aux films que vous prétendez défendre.

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