On ne va pas vous le cacher : traiter d’un film réalisé par l’un des fondateurs du site a été source de discussions en interne. L’enthousiasme appuyé de Jeremy s’opposait aux doutes du rédac’ chef. M’ayant proposé l’exercice, je ne lui ai caché ni mon intérêt pour l’exercice, ni le fait que nous n’avions pas forcément la même vision de la gauche. Thomas, lui, s’inquiétait plutôt du côté « entre-soi » et de la connivence : ce que l’on retrouve de façon régulière dans la presse à gros tirages, évitons de le faire nous-mêmes. Il est vrai que, dernièrement, Les Coquillettes, qui mettait en scène des critiques du net comme de la presse écrite a été plutôt bien reçu. Bref, on est conscients que l’exercice est délicat. Il me paraît utile de le préciser.

Jeremy Sahel est producteur de courts métrages et de documentaires. Il en réalise lui-même et, ne cachant pas ses sympathies pour le Parti Socialiste, il a été amené à tourner un film sur les primaires. Suite logique, c’est aujourd’hui à la campagne du second tour, dans le QG de campagne du PS, que Jeremy s’intéresse. S’il fut soutenu par l’organisateur de campagne, Stéphane Le Foll, la direction du Parti voyait l’intrusion de cet inconnu d’un mauvais œil.

Il fallait en effet s’y attendre : sur le fond, le documentaire est loin d’être à l’avantage des personnes qu’il filme. Un an après, comme d’habitude, les électeurs ont la gueule de bois. On voit d’ailleurs tout le mal qu’a François Hollande à se convaincre du bien-fondé des discours soufflés par ses communicants, parmi lesquels sa compagne, la journaliste Valérie Trierweiler. Tout comme on y constate la difficulté de Pierre Moscovici à endosser le rôle du mec sympathique. Guère plus sympathiques semblent ces jeunes recrues sortant de Sciences Po, dont on imagine sans mal que, parmi eux, se trouve le nouvel Emmanuel Valls. Bien que le regard de Jeremy soit loin d’être hostile, l’équipe de campagne se trahit elle-même. La gauche, de toute façon, n’est plus capable de remporter une élection sans s’appuyer avant tout sur la communication.

En s’intéressant très vite à Stéphane Le Foll, plutôt qu’à la faune médiatique, Jeremy tente de cerner la personnalité d’un homme qui fait avec la communication, mais qui de toute évidence n’y a pas sa place. Si l’on savait que Moscovici était le directeur de campagne d’Hollande, on s’aperçoit que le seul boulot de ce dernier était de manger du chocolat. Dans l’ombre, Le Foll se chargeait du travail. Sans doute, Jérémy s’est-il reconnu dans ce grand gaillard, à la fois généreux et maladroit, capable de remuer des montagnes pour un projet. Alors que l’équipe de campagne est rivée sur les sondages, les ordinateurs et la télévision, Le Foll va à la rencontre des électeurs, et ce qu’il entend, c’est qu’il n’est pas question de Hollande, ni du Parti Socialiste, mais de l’indécision des électeurs, de l’attrait qu’ont sur eux le Front de Gauche et le Front National. Un vote par défaut se prépare : celui d’une France qui ne croit plus aux partis politiques, et surtout pas au PS. En laissant un vieil homme (le père de Le Foll) rappeler le passé héroïque du Parti Communiste, Jeremy voulait exprimer l’idée d’une France ne se fiant pas nécessairement à un parti, mais à des valeurs de solidarité. Sur la forme, il laisse les images s’exprimer d’elles-mêmes, sous l’influence sans doute de l’école de Depardon. Sans prétendre rivaliser avec le cinéaste, lui cite plutôt Yves Jeuland. C’est en tout cas un parti pris plus subtil que le documentaire-interview.

Souci : Jeremy ne s’est pas assez méfié du mal que peut faire l’utilisation d’images provenant de la télévision. Discrètes au départ, ces images de communication parasitent bientôt le documentaire, et finissent par brouiller l’idée défendue par Jeremy. Alors qu’il tentait jusque-là de mettre en avant la vision d’un parti socialiste à visage humain, le documentaire se retrouve happé par le système de communication. En finissant son film sur l’image de Sandrine Bonnaire, venue rejoindre le staff pour faire la fête, il voulait montrer qu’une fois encore « la gauche » au pouvoir se résumait à un carré VIP, ce qu’il dit regretter. Si le PS n’a pas compris la voix des urnes, Jeremy commet trop de maladresses pour que l’on comprenne vraiment ce qu’il a cherché à dire. Était-il nécessaire de montrer les images, vues ailleurs, de liesse populaire à la Bastille, alors que la disparition à l’image de Stéphane Le Foll suffisait à nous faire comprendre que l’exécutif était, dès le 6 mai, déjà en train de creuser le fossé dans lequel il tombe aujourd’hui ?

« Le 6 mai » un documentaire de Jeremy Sahel 52 minutes diffusion sur La Chaine Parlementaire le 6 mai à 20H30, Le 8 mai à 9H et le 10 mai à 15H.

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8 thoughts on “Le 6 Mai

  1. Il était une fois, dans un temps et un pays forts éloignés, l’histoire d’un aveugle qui refusait depuis de nombreuses années d’aller écouter les récits de l’astronome du village sur ses observations des planètes faites la nuit avec son télescope. L’aveugle reprochait à l’astronome de ne savoir point dénombrer le nombre exacte des planètes présentes dans l’univers.
    Un jour, alors que l’aveugle était resté cloitré chez lui, les villageois se rendirent comme à l’accoutumé, sur la place du village pour écouter les récits quotidiens de leur astronome. Ils apprirent grâce à sa science qu’un astéroïde devait s’écraser sur le village tôt le lendemain matin. Dans la hâte des préparatifs du départ, personne ne pensa à prévenir l’aveugle du danger.
    Tôt dans la nuit, l’aveugle fut réveillé par un bruit de fracas. Un petit astéroïde s’était écrasé sur la place vide du village, ne causant que très peu de dégâts. N’ayant jamais vu la nécessité de rénover les usures de sa maison causées par le temps, l’aveugle vit sa destinée s’arrêter net suite à l’éboulement de ses murs.

  2. Cette interprétation de l’auteur sur ces 12 secondes d’images de grue fournie par le PS relève davantage de sa perception plus qu’il n’épuise le sens que l’on peut à ces images collées juste avant celle de Sandrine Bonnaire venue rejoindre le staff VIP. Tout au long du film, on voit une équipe de campagne à l’œuvre pour façonner l’image de son candidat, et des professionnels investit du pouvoir d’en façonner l’image destinée aux électeurs. Une autre interprétation de l’auteur de cet article sur ces 12 secondes est possible. Le passage de ces images de grue peut être perçu comme un rappel au spectateur comment le PS s’est donné à voir dans ce moment particulier de la victoire, et les images faites par Jeremy Sahel de Sandrine Bonnaire sur lesquelles se clôture le film rappeler qu’il y a toujours des coulisses derrière un décor. Il pourrait donc s’agir donc d’un aller-retour entre ce que le PS a voulu montrer et maîtriser de son image, et ce que Jeremy a pu filmer des coulisses malgré ce que l’on peut aisément imaginer, un nombre important de verrouillages mis en place par le PS. Et n’est-pas l’un des aspects de cette campagne que le film de Jeremy Sahel tente de montrer tout au long de son récit ? Confronter l’image qu’un candidat veut donner à voir et comment cette image a pu se façonner devant la caméra de Jeremy ?

      1. Oui, c’est exactement ça ce qu’a voulu exprimer Jeremy. Le problème c’est que l’idée ne va pas de soi, je trouve. Perso il a fallut que Jeremy me l’explique, a partir de là, je me dis qu’il y a un soucis.

  3. bon bof,
    il aurait pu être un peu plus incisif
    j’ai même pas compris s’il n’aimait pas le film
    ou s’il n’aimait pas que le réalisateur aime le PS

    1. Dans l’ensemble, il s’en tire pas mal, l’idée n’était pas de déglinguer le film mais de le traiter comme n’importe quel autre docu. Critiquer nos créations c’est un peu, selon Jéremy, une façon d’aller au bout de l’exercice critique. Je comprends l’idée aussi, même si pour le coup l’autocritique ça fait un peu stalinien 😉
      Plus sérieusement, j’en suis resté au film et au cinéma face à la communication et au monde politique. Pas une question d’aimer ou pas le PS. Ni au final aimer ou pas le film. Mais de poser des questions quand à l’utilisation d’images fabriquées pour la publicité d’un parti dans un documentaire où Jeremy montre pourtant un certain recul vis à vis de ce parti. Jeremy a décidé de finir son documentaire sur des images filmées par lui au ton assez mélancolique, laissant penser par le montage, que la victoire avait un goût amère de fin fête. (si je résume bien nos discussions). J’y vois pour ma part, la fin de la fête de la victoire sur un discour du President, juste après avoir utilisé ces 12 secondes de communication. Ce que j’y ai vu, ce n’est pas du tout ce qu’a voulu montrer Jeremy, mais j’estime qu’il y a un soucis si c’est ce que je vois. Je lui ai dit, et le redis, c’est une erreur d’avoir utilisé ses images parce qu’elles brouillent son idée. En tout cas je ne reprocherais jamais à Jeremy, ni a quiconque « d’aimer » le PS.

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