[DVD] Graines d’étoiles : technique de pointe

À l’Opéra de Paris, l’art de la danse délivre un savoir d’excellence. Saisir cet entrelacs de connaissances constitue un défi complexe que relève finement cette série documentaire en six volets. Qu’est-ce que l’excellence de l’Opéra de Paris ? Graines d’étoiles évite cet écueil bien connu, qui veut que les élèves se confrontent à l’institution, à la sévérité de l’École de danse. De fait, la raideur constitue le socle de cette maison qui voit les matricules entrer et sortir. Les premiers cours portent ainsi sur l’édifice d’un défilé où garçons et filles se fondent en un seul mouvement. Ce travail collectif, dont l’obsession de la ligne et la concentration maximale assurent la réussite, constitue une photographie mouvante du corps de ballet.  Une hiérarchie en mouvement, du plus petit rat aux plus illustres, du moins gradé aux étoiles.

Étrangement, si la peur de l’élimination se profile dès les premiers épisodes, les portes de l’École qui s‘ouvrent à nous révèlent une atmosphère bienveillante et bon enfant. De différences ou de soucis, il n’en est jamais question, sinon à travers les visages fatigués. Ici, la différence n’a pas cours, elle est sacrifiée sur l’autel de la danse, et survit grâce à l’endurance. Paradoxalement, l’école sait jouer de ces différences : Marie-Agnès Gillot et Dorothée Gilbert, étoiles et icônes mondiales issues de l’ODP*, n’en sont pas moins deux mutantes, et en rien des prototypes.

Lors des présentations de certains élèves, quelques papiers en boule se baladent au gré des témoignages des garçons et filles. Fils rouges qu’on a tôt fait de repérer, qui indiquent d’intrigants indices de mise en scène. Mais le documentaire enclenche des questions d’une autre épaisseur : y-a-t’il un style ODP ? Qu’est-ce que le « raffinement » de l’école française ? Il en résulte une véritable investigation sur l’unité du corps de ballet, la réalisatrice Françoise Marie se faisant à son tour le chantre de la transmission. Et si l’École disposait des plus brillants professeurs qui soient ? Par exemple, Véronique Doisneau, qui a côtoyé Noureev, détient une parole dont chaque intonation divulgue un pan d’histoire, une émotion liée à la danse. Aucun babil, plutôt la science du placement par le prisme des études, d’exercices en répétitions.

Graines d’étoiles rappelle que faire l’éloge de l’art nécessite un vécu, une histoire des attitudes cent mille fois remise sur le tapis (la ligne de conduite incluant le port des pieds, des bras…). La souveraineté du savoir induit aussi qu’il faille sans cesse le remettre en question : quand le geste est-il promesse d’une émotion ? Qu’est-ce qu’un mouvement désincarné ? Mais encore, pourquoi certains danseurs deviennent-ils élus ? Ou bien : la perfection dans la danse repose-t-elle sur la jonction des efforts ou sur une technique sublimée versant dans l’oubli de son propre corps ?

Savamment, la série tisse et enchevêtre ces questions de l’intérieur. Le travail sur les attitudes, aussi bien que la créativité lors des cours de théâtre, mettent en lumière le relâchement, condition nécessaire pour restituer le geste ou endosser un personnage. Cours d’expression musicale, pas de deux misant sur l’accord progressif avec un alter ego : l’École de danse ouvre sur la connaissance de soi et l’éveil à l’autre.

Graines d’étoiles, de Françoise Marie, Arte éditions. Sortie le 2 avril.  Diffusion dimanche 21 et 28 avril à 16h20 sur Arte. 

*ODP : Opéra de Paris.

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