Le Monde Fantastique d’Oz, ou Disney rongé de l’intérieur

Estampillé grand maître de l’horreur & auteur pour geeks, faiseur talentueux mais à la réalisation trop baroque pour en faire un cinéaste, c’est avec Un Plan Simple que le reste du public commence à le prendre au sérieux. Il n’est pas étonnant de voir que c’est en lorgnant vers l’univers des frères Coen qu’il a pu obtenir les félicitations de la critique institutionnelle. Ces trois-là ont, avant de se faire de l’oeil, travaillé ensemble pour lancer leurs carrières respectives. Sam Raimi a beau avoir su, tout au long de sa carrière, se renouveler constamment – et, à l’image des plus grands, abordé tous les cinémas -, il demeure associé à l’univers d’Evil Dead et, pour les plus jeunes, à celui de Spiderman, dont il a su exploiter toute la complexité. Il a dans ces films, il est vrai, su condenser son monde empreint de culture populaire. Ce double visage, cette apparente schizophrénie, il ne la nie pas, mais au contraire s’en amuse. Ce faisant, il déstabilise souvent le public – tant mieux. Sam Raimi est de ces artistes qui travaillent à rendre le cinéma populaire aussi intelligent qu’expérimental, sans rien perdre de sa dimension d’entertainer.

Cette volonté conjointe d’exigence artistique et de la portée commerciale de ses films a trouvé son paroxysme dans le second opus de Spiderman. En permettant à son héros de mûrir, il donnait l’occasion à ses fans de grandir avec lui. Mais plus encore, la puissance du film faisait entrer une nation toute entière, les Etats-Unis, dans l’ère des responsabilités. C’est en effet un manque de clairvoyance, mêlé d’une immaturité politique assumée avec arrogance qui peut, en partie, expliquer les attentats du 11 Septembre 2001. Ce drame est associé à jamais aux adaptations de Spiderman par Sam Raimi. On entend souvent que Christopher Nolan a fait entrer les super-héros à l’age adulte. Erreur : c’était déjà le cas avant. A la différence de Nolan, Raimi n’a pas besoin de se fabriquer une posture. Alors en pleine gloire, il reprenait à son compte la maxime de l’oncle de Parker (« Un grand pouvoir implique des grandes responsabilités ») en traitant d’un sujet toujours d’actualité, la crise financière. Sauf que la sauce ne prenait pas. En mélangeant pamphlet anti banksters et comédie horrifique vacharde sur la crise des subprimes, Sam Raimi atteignait les limites d’une mise en scène qu’il poussait à l’hystérie. Une fois encore, il nous déstabilisait. Il ne faut pas s’en plaindre, mais lui, pour le coup, a dû se recentrer sur ses activités de producteur. Sans être des chefs-d’oeuvres, des films comme Priest ou Les Possédées sont d’authentiques et solides séries B. On attend également beaucoup du remake d’Evil Dead, qu’il vient de chapeauter. La bande-annonce semble ne pas chercher à cacher que trente ans ont passé, et qu’il n’y a plus de quoi rire : on ne joue plus à se faire peur, l’angoisse est là.

C’est au moment où son cinéma rejoint la violence sociale de la réalité qu’il accepte de prendre les commandes de la dernière machinerie Disney. L’enjeu, pour le cinéaste autant que pour ses fidèles, est de ne pas tomber dans les mêmes pièges que Tim Burton pour Alice au Pays des Merveilles. Si l’on retrouve ici une partie de l’équipe d’Alice, le projet est en réalité bien différent. Contrairement à Burton, il n’est pas un produit des Studios Disney et avec Oz, Raimi aborde un cinéma qu’il n’a jamais pratiqué : le film pour enfants. Une fois encore, Raimi est là où on ne  l’attend pas. En acceptant de prendre en main une production Disney, on pouvait redouter que le Loup de Tex Avery ne pénètre dans une souricière. Il n’en est rien. Construit sur le mythe du Magicien d’Oz, gravé dans le celluloïd par Victor Fleming, le film de Raimi se base sur la même simplicité enfantine. Alors qu’il avait enfin réussi à concilier ses deux visages, voilà qu’il en révèle un troisième. Pourtant, il propose un autre regard sur la cinéphilie hallucinée qu’engendra Le Magicien d’Oz, affiliée au cinéma de David Lynch en particulier. Le spectateur n’accède plus au monde d’Oz avec naïveté, le spectateur n’est plus dupe. Petit frère d’Ash dans l’Armée des Ténèbres, Oz est ici un usurpateur, un opportuniste. Comment vivre sans illusions, en sachant que tout est truqué ? Voila un propos adulte et très actuel, opposé aux ambitions du marchand de rêves Disney. Raimi travaille à réenchanter son public, non pas en le dupant, mais en triturant les images. Dès l’exposition en Noir & Blanc et au format d’antan, il réinterprète, avec de longs plans séquences dont il a le secret, l’imagerie de son enfance : celle des EC Comics, morbide et baroque. La 3D est pour lui un moyen de fondre ses images dans le souvenir de ses lectures macabres. C’est aussi un moyen d’expérimenter une technique qui lui est nouvelle, et d’en proposer un emploi qui n’appartient qu’à lui. Il prend alors un malin plaisir à défigurer son trio d’actrices, tout autant que les images. Plus encore que Darkman, Oz est une réflexion sur l’utilisation de l’image par un artiste (on l’aura assez dit : on peut voir Oz comme l’autoportrait du cinéaste). Un œuvre pop art fidèle à ses ambitions. Le film se termine dans un final explosif qui ne laisse pas l’ombre d’un doute sur les intentions de Raimi : pervertir l’esprit Disney de l’intérieur, dans un feu de joie païen. Où l’on se demande si c’est le Magicien d’Oz qui a laissé ses marques sur le cinéma de l’auteur (les sorcières du monde d’Evil Dead), ou si c’est au contraire Raimi qui laisse son empreinte dans le monde d’Oz. Réjouissant.

Le Monde fantastique d’Oz, Sam Raimi, avec James Franco, Mila Kunis, Michelle Williams, Rachel Weisz, Etats-Unis, 2h07.

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10 thoughts on “Le Monde Fantastique d’Oz, ou Disney rongé de l’intérieur

  1. Benj, tu fermes tes commentaires? je peux même pas te répondre directement! Le principe a Cinématraque, c’est que les étoiles c’est un peu de la blague, je m’en moque un peu. Et si l’on va par la un chef d’oeuvre, c’est plus 5 étoiles. Ce qui n’est pas le cas ici.

  2. Dire que Sam Raimi pervertit l’esprit Disney avec ce film, c’est un peu exagéré… Certes Oz peut se voir comme une métaphore du cinéaste, mais le fait qu’il soit un escroc et non un vrai magicien se trouve déjà dans les romans de Baum, ce n’est pas Raimi qui amène cet aspect-là. Le film est bien fichu mais le scénario reste hyper-prévisible. Petite déception.

    1. Pour ne pas spoilé je suis resté vague sur la fin. Mais dans l’utilisation de certains symboles je soutiens toujours la thèse de cette volonté de pervertir le monde de Disney. Ensuite je ne mets pas en avant la personnalité de oz pour la comparer a celle de Raimi (je l’évoque de façon brève car oui on peu le voir ainsi et souvent le film est vu sous cet angle) Non, pour moi il y a par rapport au film d’origine une autre façon de rentrer dans le monde d’oz. Y a un changement de perspective. Il y a ici un discours sur la perte de la naïveté des spectateurs, voire le cynisme. Bien qu’il s’en défende Raimi dialogue plus avec la première adaptation qu’avec le bouquin. Pour le scénario, ce n’est certes pas une référence, mais pour un film pour enfant c’est loin d’être honteux. Et tu le sais, Benj… Je suis moins porté sur le scénario que toi. Un film qui a des faiblesses dans le scénario cela ne me gêne pas forcément…

      1. Il y a sans doute une volonté de pervertir l’univers Disney, mais ça reste quand même léger. Il n’y a pas de « discours » sur la perte de la naïveté dans la mesure ou cette idée, effectivement présente, est rapidement court-circuitée par les conventions du film pour enfant. C’est aussi de ça que je parle lorsque j’évoque le scénario: tout ce qui touche la construction des personnages, les antagonismes, etc. est figé à partir de la moitié du film, et dès lors, il n’y a plus de surprises. Dans l’ensemble le film n’est pas aussi réussi que ne le laissait penser sa belle introduction. Il est très correct mais pas de quoi crier au chef-d’oeuvre.

        1. C’est le coup du verre à moitié vide et a moitié plein mon vieil ami! 😉
          Et puis je n’ai pas parlé de chef d’œuvre, mais de film réjouissant.
          Et désolé je ne suis pas d’accord : Sam Raimi utilise a son avantage la commande du film pour enfant, dans cette idée de comment enchanter son public dans un cadre ou tout est attendu d’avance. Il y répond très bien.

          1. A moitié vide, à moitié plein… tu as mis 4,7/5. C’est le genre de note qu’on réserve aux chef-d’oeuvres, non?

  3. J’etais un peu dubitatif a la sortie du film, il y a quand meme certains passages tres tres laids, mais je me demande si ce n’est pas fait expres…

    En tout cas, c’est la premiere fois que je trouve que la 3D apporte quelque chose a un film. Elle est quand meme bien maitrisee et les jeux avec les bandes noires sur les cotes au debut du film fonctionnent super bien pour immerger le spectateur dans chaque scenes.

    1. La 3D est vraiment adaptée a la mise en scène de Sam Raimi, grand adepte des plans séquences. Une des raisons pour lesquelles le spectateur l’accepte bien volontier et ce qu’il fait avec cette technique au début du film (qui part de la même idée de faire rentrer le spectateur dans un univers en l’habituant progressivement à la 3D m’a rappelé Up de Pixar a propos) est une belle idée de mise en scène qui va sans doute inspirer d’autres cinéastes.

  4. « Sam Raimi a beau avoir su, tout au long de sa carrière, se renouveler constamment – et, à l’image des plus grands, abordé tous les cinémas -, il demeure associé à l’univers d’Evil Dead et, pour les plus jeunes, à celui de Spiderman, dont il a su exploiter toute la complexité. »

    « Sam Raimi est de ces artistes qui travaillent à rendre le cinéma populaire aussi intelligent qu’expérimental, sans rien perdre de sa dimension d’entertainer. »

    Ah ouais … quand même.

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