« L’homme aux poings de fer », le passage manqué de RZA derrière la caméra

Robert Diggs et le cinéma, c’est une longue histoire. Surtout lorsqu’il s’agit d’arts martiaux, de kung-fu et de wu xia pian. C’est après tout en se gavant de films chinois qu’il dit avoir échappé aux gangs et trouvé la sagesse dans sa voie artistique. C’est aussi en hommage au grand Chang Cheh qu’il donna à son groupe le nom de Wu Tang Clan. Depuis, il a signé l’une des rares bandes originales purement hip-hop pour le cool guy Jim Jarmush (Ghost Dog), et participé à l’élaboration de celle de Kill Bill. Acteur, on l’a retrouvé aussi bien chez Judd Apatow que chez Ridley Scott. Son credo, dans la musique comme au cinéma, est de rester cool. Et, en effet, tant qu’il se limitait à la musique ou à l’interprétation, cool, il l’était. Mais après avoir touché un peu à tout, Robert Diggs a voulu réaliser un film. Si le Wu Tang Clan a développé un univers musical extrêmement riche, poussant RZA à lui consacrer un manuel, du point de vue de l’image, en revanche, ce qui a toujours défini les clips du collectif, c’est plutôt leur pauvreté. Dans toute l’histoire du groupe, une seule vidéo mérite le coup d’oeil, lorsqu’en 1993, le crew sort Protect Ya Neck de son hakama. Un clip en noir et blanc, rugueux, dans lequel tous les membres tentent de se faire une place dans le cadre. On ne compte plus, depuis, les petits MCs tentant de reproduire ce combat d’egos face caméra.

Malgré ce passif visuel assez honteux, c’est peu dire, pourtant, que l’on attendait le passage de Robert Diggs derrière la caméra, tant la légende vivante du hip-hop, expert dans le maniement des filmographies du wu xia pian, semblait avoir le bagage nécessaire pour accoucher d’un bel hommage au genre. Mais voilà : du cinéma, Diggs se préoccupe peu et, sans doute assuré de son talent, convoque bien davantage les clips de son groupe. Une trame simpliste, prétexte à montrer des hommes, des vrais, entourés de jolies pépées dans des décors luxueux. Plus le film avance, et plus on s’éloigne de King Hu, de Chang Cheh, de Tsui Hark et de John Woo – et plus on revient à Tragedy. Ce titre de l’une des multiples émanations du Clan (qui mettait en avant RZA) avait été, en effet, illustré par une vidéo dont on se souvient brusquement à la vision du film. Plus en accord avec la philosophie du sage poète de Brooklyn, elle peut être envisagée comme une première évocation des ambitions cinématographiques de Diggs. Mais, sans être un monument du genre, le clip a pour lui d’être efficace, laissant un certain humour affleurer. Un humour désespérément absent du film.

L’Homme aux poings de Fer n’est pas dénué d’intérêt et, sur un point au moins, la démarche du réalisateur est assez audacieuse. Il en fallait, du culot, pour, au sein d’un même film, confronter des seconds couteaux plus ou moins associés à l’univers des productions Besson à la troupe – dont fait partie RZA lui-même – de Quentin Tarantino – autant dire deux visions totalement opposées du cinéma populaire. Il y avait, dans le projet en lui-même, mais aussi dans cette façon de remixer acteurs et images de série B d’arts martiaux, de quoi ajouter un nouveau chapitre a l’expérience Grindhouse de Rodriguez et Tarantino. Produit par ce dernier, soutenu au scénario par les fulgurances gore assez jouissives d’Eli Roth, L’homme aux poings de fer semble pourtant avoir été abandonné par la team Tarantino, laissant RZA aux mains de l’idéologie Besson : qu’importe la qualité du produit, du moment qu’il y a de la baston et de (très) jolies asiatiques en petite tenue. Sur ce point, on pouvait faire confiance à Chi Ying Chan (Dead Or Alive, adapté du jeu vidéo) pour mettre en valeur les jeunes filles. Dans le genre, Robert Rodriguez et son Machete gagnent hélas haut la main. Ici, les scènes d’actions sont brouillonnes et sans panache. Pire, si le bessonien Cory Yuen n’est certes pas l’un des plus grands chorégraphes du cinéma chinois, il est évident que son travail a été massacré par un découpage aberrant.

Au bout du compte, sans pouvoir s’appuyer sur Tarantino (très occupé par son propre Django Unchained – où l’on retrouve in fine Robert Diggs), l’auteur se voit dépassé par son propre projet. Incapable de le rendre crédible, RZA laisse parfois, sans le vouloir, ses doutes s’exprimer au sein même du récit. Il va ainsi de ce moment où, coincé dans une ruelle entre deux frères ennemis, il surjoue la surprise autant que l’hésitation d’un homme cherchant une porte de sortie. Si l’on espère à défaut se raccrocher à la bande originale, totalement anachronique, la musique ne semble qu’appliquée aux images, sans que jamais soit questionnée son utilité. Plus grave encore, les morceaux hip-hop sentent trop souvent le réchauffé. Orphelin de son groupe depuis la mort d’Ol’ Dirty Bastard, RZA tente de se recréer une famille au cinéma. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celle-ci a fait son possible pour lui offrir un jouet en or, mais n’a pas pensé à surveiller le bébé qui, du coup, l’a aussitôt brisé.

L’Homme aux poings de fer, de et avec RZA, et avec Russell Crowe, Lucy Liu, Dave Batista, Etats-Unis / Hong Kong, 1h36.

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3 thoughts on “« L’homme aux poings de fer », le passage manqué de RZA derrière la caméra

  1. Bonjour,

    Je suis réalisateur et j’organise fin janvier, en avant première, une projection presse de mon dernier court-métrage SOCIAL KIDS – Le sac. Il s’agit du 3ème volet d’une saga de comédies sociales tournée dans le Nord.

    J’aimerai t’inviter à cette avant-première car je trouve ton blog vraiment intéressant et je serai vraiment ravi d’avoir une critique sur ton site.

    Je t’envoie la bande-annonce du film pour te donner le ton et l’univers de mon court-métrage.

    http://player.vimeo.com/video/44864258

    La projection aura lieu le samedi 26 janvier à 11h du matin au Cinéma de Cinéastes. Métro place de Clichy.

    Voilà, si ça t’intéresse, je te mets sur la liste des invités.

    J’attends de tes nouvelles et n’hésite pas si tu veux plus d’infos.

    Mike

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