Greetings from Italy : « To Rome With Love », mais sans allant

Tout ce temps passé à se demander si le Woody nouveau est plus ou moins mineur que le précédent, ou si Owen Wilson bafouille mieux que Larry David. Tout ce temps, alors que Celebrity est à dix euros à la FNAC. Peu importe, la presse salue mécaniquement le plaisir retrouvé du maître (les plus mesurés évoquent la bonne cuvée 2012), jusqu’à la sortie du prochain opus, l’occasion d’apprendre que Minuit à Paris n’était pas, réflexion faite, si réussi en comparaison de Treize Heures à Barcelone.

En déterritorialisant son cinéma, Allen avait néanmoins trouvé un relatif second souffle, rejouant quelques-uns de ses motifs usuels sous une autre lumière (Match Point, resucée solaire et plus que correcte du splendide Crimes et Délits), lorsqu’il n’assortissait pas ses schémas tragiques d’accents sociaux inédits, séduisants jusque dans leur incongruité (Le Rêve de Cassandre).

Dans Minuit à Paris, Allen renouait même avec le meilleur de sa veine onirique, et faisait de son décor un espace propice à l’interrogation de la frontière entre réel et fiction, dans lequel deux Paris se disputaient les faveurs d’Owen Wilson : l’un, très contemporain, muséifié et marchandisé, et l’autre fantasmé (Allen ne manquait pas d’en souligner le caractère illusoire), tout droit sorti des années 20.

Dans le tout premier plan de son dernier grand film (Celebrity, dans lequel Kenneth Brannagh bafouillait très mal), Allen traçait dans le ciel un gigantesque « Help ». Avec To Rome With Love, l’appel est entendu. La carte postale a pris le pas sur celle du tendre et des affects : si, chez l’auteur, l’archétype a toujours été le point à partir duquel se déployait la palette des sentiments, quand il ne vaut que pour lui-même (To Rome With Love rejoint en cela Tout Le Monde Dit I Love You), sa machinerie tourne à vide. De fait, rarement celle-ci aura semblé si exsangue, réduite à recycler et agglomérer en un patchwork poussif des éléments piochés dans ses précédents films. Ainsi, l’interminable sketch mettant en scène le pénible Benigni, anonyme devenant, du jour au lendemain, la coqueluche des médias. De nos jours, le premier venu peut devenir célèbre ? Revoyez plutôt Celebrity. Un soprano n’est capable de chanter que sous la douche ? Le gag, étiré en longueur, rappelle dans l’esprit l’acteur flou de Deconstructing Harry. Les affres de la création, le soupçon de l’imposture, le spectre de l’échec ? Pêle-mêle, Accords et Désaccords, Hollywood Ending, Deconstructing Harry.

Comme souvent chez l’auteur, cette inquiétude s’exprime dans le corps même du film. Le personnage de Judy Davis reproche à celui d’Allen, metteur en scène d’opéras à la carrière erratique – cette manie qu’a le cinéaste de se mettre en scène en artiste raté ou incompris, lui qui justement n’a jamais été aussi célébré qu’aujourd’hui -, d’assimiler la retraite à la mort. Evidemment, lui répond-il en substance : mon grand oeuvre est à venir.

Tel est le charme paradoxal des Woody tardifs. « Je n’ai encore rien dit », promet-il, en feignant d’ignorer que, sans doute, il a déjà tout dit. À la noirceur réelle du propos (à peine masquée par le ton badin du récit et l’ambiance estivale de la « Rome éternelle ») s’ajoute la faiblesse, presque inédite, de l’inspiration d’Allen, l‘intérêt du film ne tenant qu’à un fil, celui du récit mettant en scène Eisenberg, Page et Baldwin. 

De renvois en déclinaisons, les Allen mineurs valent pour l’ombre bienveillante qu’y portent ses plus beaux films, le souvenir qu’il convoquent, dans l’esprit du spectateur, de motifs au trait plus précis. L’oeuvre fait corps, Manhattan se porte garant pour Whatever Works, comble à l’occasion quelques brèches. Or, c’est plutôt la sortie de route que borde ici l’auteur (mention spéciale au segment mettant en scène Penelope Cruz, hommage loupé à la comédie italienne). 

En débarquant à Rome, Ellen Page s’enthousiasme à la simple idée de « visiter des ruines ». C’est bien l’effet que produit, deux heures durant, To Rome With Love, où l’auteur arpente son cinéma du même pas – un peu las, au bord de la somnolence, comme au sortir d’un déjeuner trop arrosé en terrasse – que les rues de son studio à ciel ouvert. Qu’il poursuive son euro-trip ou regagne Manhattan, on ne peut que souhaiter un sursaut du cinéaste. 

To Rome With Love de Woody Allen, avec Jesse Eisenberg, Ellen Page, Greta Gerwig, Alec Baldwin, Roberto Benigni, Penelope Cruz, Etats-Unis / Espagne / Italie, 1h51.

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