Soyez sympas, rembobinez (Be Kind Rewind) de Michel Gondry (2008)

Quatre ans avant The We and the I, Michel Gondry proposait déjà avec Soyez sympas, rembobinez (Be Kind Rewind) une forme de film de groupe idéal, où l’entièreté ou presque du corps de la fiction, de l’équilibre des scènes, reposait sur la parole et surtout le geste commun d’une équipe. Soit les habitants de Passaic, petite ville du New Jersey, que la drôle d’aventure de deux gars pas bien futés mais toujours cools motivera comme jamais. Cette aventure est à peu près simple comme une idée de Gondry, c’est à dire pas vraiment. Mike (le rappeur Mos Def, excellent) se voit confier les clés d’un vidéo club ne louant que des films en VHS par le vieux Fletcher, son patron et père adoptif (Danny Glover), le temps que ce dernier s’absente pour rendre hommage sur les lieux de sa mort au jazzman Fats Waller, né dit-il dans ce bâtiment. Gros hic : alors que son train démarre, il a à peine le temps de préciser au jeune homme de tenir Jerry, son pote un peu lourdaud (Jack Black, just amazing) à l’écart de la boutique. La suite nous montrera qu’il avait ses raisons.

Magnétisé « accidentellement » (…), Jerry parvient à effacer toutes les cassettes du vidéo club en un seul contact. Catastrophe absolue pour un commerce : plus de produit viable, donc plus de clients ! C’était sans compter sur l’imagination débordante de notre duo, et bien sûr du cinéaste bricoleur. Mike et Jerry, à défaut de remplacer les vidéos perdues, se lancent dans le projet fou de les « suéder », à savoir refaire eux-mêmes les films avec les moyens du bords, en mode système D. C’est clairement la part la plus réjouissante du film, celle où Gondry se laisse aller à ce qu’il sait faire de mieux : non pas détourner en bon maniériste les grandes scènes du cinéma, mais donner à ses personnages le loisir de les bricoler telles qu’ils les voient eux, de la manière la plus littérale et matérielle qui soit.

Il y a alors quelque chose d’incroyable, de franchement jouissif à assister à la reproduction lo-fi des cascades de Rush hour 2, des hantises de Ghostbusters, du bain d’acide de Robocop, voire de la marche cul par dessus tête de 2001. Si Michel Gondry reste un réalisateur « sérieux », au sens où la structure de ses films, même les plus légers, reste très précise, il brille comme peu d’autres à présenter des personnages qui ne se prennent pas au sérieux. Ce qui compte, dans ce cinéma, n’est pas tant de courir après une image, un temps perdu (Eternal Sunshine…), combattre le Mal (The Green Hornet) ou rendre hommage aux classiques du 7e art, mais de tirer profit de tout le potentiel de fun, de vautrage joyeux d’une action improvisée. Rien n’est voué à tenir droit, à aboutir chez Gondry, mais l’on comprend toujours, en pleine vision de ses films (de ses clips), que l’essentiel n’est pas là. Ne l’a sans doute jamais été.

Soyez sympa, rembobinez est, comme je le disais, une aventure collective, celle de l’invitation progressive par Mike et Jerry de tous les habitants du quartier, Noirs comme Blancs ou Latinos, jeunes comme vieux, à prendre part à la réactivation sans pression (quoique) de l’esprit de leurs films cultes. Le sommet de l’idée étant de voir Jerry signer des autographes comme l’authentique star de poche qu’il est finalement devenu ! Ce n’est pas un monde devenu fou qu’accompagne ici avec bienveillance Gondry, mais la naturalisation sans scandale et à moyenne échelle d’une belle folie : celle de donner vie et succès à l’art le plus fauché et surtout le plus libre qui soit. Importe moins de faire des films crédibles et bien fichus que de compresser ni vu ni connu l’essentiel des scènes mémorables du référent.

Peut-être la seule vraie limite de Soyez sympas réside t-elle dans une dernière partie par trop « sentimentale », où revient, comme pour justifier, rationaliser cette folie douce, la distinction du réel et de l’imaginaire, du mensonge et de la vérité (« Non, Fats Waller n’est pas né ici », etc.). C’est d’ailleurs un peu le problème du système Gondry en général, quel que soit le médium, que de ne pas toujours dépasser l’installation de l’idée, d’être à la longue (donc surtout dans le cadre d’un long métrage) un peu contenu, dans la forme et le fond, par ses assises « sympas ». Comme dans tout jeu d’enfant ou délire ado, il faut bien, une fois l’euphorie passée, ranger sa chambre. Mais qu’importe, pour ce film surtout, que la raison ait encore le dernier mot, tant la franchise du geste aura provoqué de beaux éclats.

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