Wrong : bizarre bizarre

A Cinématraque on n’est pas toujours tous d’accord. Mais bon, plutôt que de faire dans l’eau trop tiède, on fait des articles qui se contredisent. Ainsi, si Dzibz fait dans la dithyrambe lorsqu’il s’agit de chroniquer Wrong, Benjamin se montre pour sa part plus que déçu. Et vous, vous en avez pensé quoi, du dernier Dupieux ?

Au petit matin, un pompier défèque tranquillement au milieu d’une rue pavillonnaire, tandis qu’à l’arrière plan une camionnette brûle. Une image incongrue, une musique (par Tahiti Boy & Mr Oizo himself) anxiogène: c’est parti pour 1h34 de grand n’importe quoi.

Un matin, Dolph (Jack Plotnick) perd son chien. Ce qui le rend vraiment très triste, car Dolph est un grand sensible. Il discute un moment avec son voisin, qui est assez bizarre. Puis, au téléphone, avec une livreuse de pizza lubrique et bizarre elle aussi. Ensuite, avec son jardinier français un poil bizarre. Enfin, il se rend à son travail même s’il s’est fait virer trois mois plus tôt; car Dolph, comme les autres, est plutôt bizarre. Il rencontrera un gourou des chiens carrément bizarre, ainsi qu’un détective bizarrement classique. Bref, tout est bizarre dans le nouveau film de Quentin Dupieux.

Et si j’insiste sur le mot, c’est qu’il insiste lui aussi, sans pour autant dépasser cette bizarrerie de surface. Avec chaque idée gentiment absurde (le réveil qui sonne 7h60, la pluie dans le bureau, le palmier transformé en sapin), il est capable d’étirer une scène sur dix bonnes minutes, sans jamais parvenir à créer le malaise qu’il voudrait atteindre, la faute à une réalisation classico-statique (plan généraux frontaux, champs-contrechamps: Dupieux soigne ses flous et sa mise au point, mais le Canon 5D ne permet pas tout), et à une narration bien trop linéaire, dans laquelle un mini-sketch chasse l’autre. L’humour «décalé» tombe à plat, l’ennui s’installe. Aucune invention formelle, aucun enjeu : «It doesn’t make sense!» Tu l’as dit, Dolph, tout ça n’a aucun sens, même en cherchant bien.

Dupieux aimerait qu’on le rattache aux grands surréalistes, Bunuel et Lynch en tête: sauf que chez ces derniers, toute bizarrerie répond à une logique souterraine très précise, et s’accompagne d’un style cinématographique personnel et constamment créatif. Dans Wrong, lors d’une courte séquence en flash-forward avec Eric Judor, il se passe enfin quelque chose. Sous le coup d’une distorsion formelle absente du reste du film, le bizarre se transforme soudain en inquiétante étrangeté: on entrevoit alors l’horizon d’angoisse existentielle visé par Dupieux. Malheureusement, ça ne dure qu’un instant, et on retrouve très rapidement les blagues pas drôles à base de caca de chien. On peut sans problème admirer le mode de production du film (petit budget, équipe technique française et acteurs américains, tournage au coeur de l’americana) ainsi que la direction d’acteurs; on peut également féliciter Dupieux d’être parvenu à créer le «ton hyperréaliste» – que l’on qualifiera pour notre part de solennel et finalement très premier degré – qu’il cherchait depuis longtemps. Mais à moins d’être, comme lui, «passionné par les relations homme-chien», il paraît difficile de s’enthousiasmer pour ce film faussement bizarre mais vraiment chiant, qui se plombe lui-même par sa candide prétention.

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