Le jour où j’ai joué pour Carax dans un film pas primé à Cannes

Remettons les choses dans leur contexte, j’aurais pu être une star mais pas cette fois, là c’était juste parce que mon compte en banque affichait un « -200 euros ».

En tant que jeune esclave moderne, c’est-à-dire stagiaire, je cherchais un bon moyen de redresser la barre. Miracle, un ami de ma boss se plaint du coût des figurants sur le tournage en cours qui n’est autre que Holy Motors (la classe, hein ?). Toute ouïe, je glisse subtilement que j’ai toujours rêvé de jouer dans un film (oh oui, j’adorerais !… ne plus vivre dans le rouge). Et là, bim, je fais les yeux doux et j’obtiens le nom de la personne qui s’occupe du casting figurants.

Ô second miracle, il s’avère que cette personne est un compagnon de mes nombreuses pauses clopes dans la cour commune. Deuxième approche tactique et envoi de photos à ladite personne. C’est assez peu convaincant, même pas cadré, et je ne suis pas photogénique. Tant pis, je fonce et suggère finement que ce serait vraiment super chouette d’avoir pitié de moi et de mon déficit. Apogée de ce coup de chance, le jeune homme succombe et me propose de tourner de nuit deux soirs d’affilée la semaine d’après. Bien sûr, j’accepte. Sauf que j’avais oublié que je staffais pour le weekend d’intégration de mon école le weekend précédant le tournage. 4 nuits blanches : même pas peur !

Du Coca pour du café

 

J’arrive donc puante d’avoir servi quelques centaines de verres de vodka-orange la veille et particulièrement attaquée au Guronzan sur le lieu du tournage. La terrasse du Fouquet’s, c’est cool et glamour mais en vrai, il n’y a pas de chauffage extérieur. Ceci n’est pas un détail. Dress code : jeune femme chic. Pas de soucis, je sors le chemisier léger et la petite jupe qui va avec. Grave erreur : nous sommes en octobre donc, la nuit, il fait froid. En moins de deux heures, j’imite à la perfection une malade atteinte de Parkinson. Et ce n’est pas mon faux café qui me console.

Parce que, oui, tout est faux ! Le Coca remplace le café (histoire d’éviter le faux raccord fumeux) et le champagne n’est autre que du Canada Dry. Au revoir Hollywood, bonjour Lidl. Après, il faut bien avouer que c’est super marrant de voir quelqu’un se faire shooter pour de faux. Le temps passe, ma plus grande action consiste à suivre des yeux Denis Lavant marchant à la rencontre de sa victime (prendre un air choqué, c’est du boulot, j’vous jure).

Les figurants papotent ensemble, il y a là des apprentis comédiens, des gens qui veulent arrondir leur fin de mois mais globalement, des acteurs en manque de cachet. Il y a aussi des surprises comme Laurent Lacotte, acteur dans l’Apollonide dans le rôle du sadique au rasoir, qui vient faire semblant de prendre un café (en vrai, il est canon, même sans costume d’époque). J’en profite pour parler à plein de gens : l’assistante de l’assistant, le régisseur adjoint Cyprien qui me soutient dans mon dur combat contre la fatigue, une comédienne qui ne cesse de me comparer tantôt à Claire Danes tantôt à Béatrice Dalle, au double de Denis Lavant, un certain William à qui j’ai eu le malheur de donner mon numéro (5 messages sur mon répondeur et une visite surprise dans la boutique où je travaille quelques jours plus tard confirment mon pressentiment comme quoi ce mec est pas net).

4 heures du matin : après avoir finalement craqué à la vue des biscuits apéro rassis sur le table que j’occupe avec un trentenaire censé être mon rencard, la libération des sandwichs est en marche. Jamais je n’oublierai les doux sandwichs au jambon et au camembert accompagnés de cookies Carrefour. A cet instant, je remercie ma mère pour m’avoir appris à apprécier ce que le ciel m’apportait.

Le café ne fait plus effet sur personne. En revanche, j’ai le droit de dormir telle une clodo sur les banquettes à l’intérieur : extase suprême. Mais l’apogée de cette nuit de folie sera le moment où j’ai pu uriner dans les toilettes du Fouquet’s. A défaut de pouvoir un jour me payer un verre d’eau dans ce lieu illustre de la jet set nationale, j’aurais laissé ma trace, merci mon Dieu. Sachez que les latrines du lieu sont chauffées, ça a l’air de rien comme ça mais ça peut sauver une vie.

Dernière anecdote de ce baptême de figuration : voir Leos Carax s’inquiéter pour son chien et se mettre dans un coin pour s’en occuper puis voir le Samu Social prendre ledit réalisateur pour un sans abri accompagné de son fidèle canidé. Drôlissime.

Quelques mois plus tard, je ne soupçonnais pas que le film sur lequel j’avais fait de la figuration apparaîtrait au Panthéon des films sélectionnés en compétition officielle à Cannes. Je ne soupçonnais pas non plus que je serai Juré Jeunes cette année là et que, par conséquent, j’aurais à juger ce film. Je ne soupçonnais pas que nous récompenserions ce film par le Prix de le Jeunesse. Comme quoi, parfois, la dèche, ça a du bon.

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2 thoughts on “Le jour où j’ai joué pour Carax dans un film pas primé à Cannes

  1. La face cachée de l’envers du décors inversement proportionnel ou égal au quotient social du chien de Leos Carax… Et ouais !

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